Parce qu’il faut bien y entrer…
J’ai ouvert une porte.
Depuis je me tiens sur le seuil. Face à l’obscurité. Face à la nuit dense. Une nuit d’encre. Une nuit de suie. Une nuit totalement opaque. Mais là pourrait aussi être un brouillard cotonneux et lumineux… (Nuit et brouillard ?)
J’attends d’y entrer. D’y faire le premier pas.
Sautes-y à pieds joints m’a dit l’amie.
Mais sait-elle qu’il n’y a là pas de sol sur lequel tomber ? De sol sinon celui qui sera construit. Fondé, avec le premier pas, ou, oui, avec le premier saut.
Et je reste sur le seuil.
J’attends. Peut-être que je t’attends.
Et je sonde cette nuit.
Je peux y mettre la main. Elle y disparaît. Ne trouve rien.
N’est-elle, cette noirceur, qu’un lourd rideau de fumée masquant un vide blanc ?
Ou bien est-elle profonde ? Infinie ?
Je me prépare au voyage. Amène mon bagage. Teste mon équipement.
Tel Poucet j’entasse de petits cailloux, des petits cailloux luminescents que je lance dans la nuit.
Ils y font de minces tracés. Pareils à ces étincelles qui montent et meurent dans le conduit de cheminée. S’éteignent dans un néant. Parfois ils se figent en de minuscules étoiles sur un plafond sans fond. Heurtent un je ne sais quoi, résonnent. Allument un quelque chose là-bas. Où ? Et comment y va-t-on ?
Parfois les tracés persistent. Et, petit à petit, dans la nuit, construisent des structures en fil d’araignée. Cristallines.
C’est une nuit peuplée qui se dessine.
D’autres l’ont traversée. Lançant mes sondes je trouve leurs marques, leurs traces.
Des chemins s’illuminent. Des régions s’éclairent. La pensée s’y meut avec une aisance surprenante.
Et avant même d’entrer dans cette nuit je l’habite déjà. Ou elle m’habite. Je l’installe dans ma demeure. Elle entoure mon jardin.
Je circule en elle. Elle circule en moi.
Et cela va si loin si vite parfois.
Trop ?
Et je tombe heureusement sur ceci :
Si loin que vous alliez, si haut que vous montiez, il vous faut commencer par un simple pas.
et cela :
En fait, les dons qui vous viennent des sphères les plus inaccessibles ne se réalisent que dans le concret le plus proche…
Les propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère…
Et c’est ainsi qu’installé sur le seuil à sonder la nuit on se retrouve en son sein. Pourtant il ne me semble pas avoir bougé. C’est donc le seuil qui s’est déplacé. À moins que ce ne soit la nuit.
LES FACES CACHÉES DE LA LUNE
J’ai vu dans la lune
trois petits lapins
qui mangeaient des prunes
en buvant du vin,
la pipe à la bouche,
le verre à la main,
en disant: « Mesdames,
versez-nous du vin! »
La ville
La ville s’endormait
et j’en oublie le nom.
Jacques Brel
La forêt
L’océan
Revenants et revenances, flux et reflux, le ressac ressasse, la nuit remue (3).
Cette porte vers l’escalier de la forêt, tu t’en souviens ?
L’ouvrir.
Et faire un pas soudain soulève la grande envolée de marches. Au moindre geste ébauché alors elles s’éparpillent
– un bruit d’ailes s’amenuisant – la nuit les évanouit.
Et c’est enfin là.
Une dilatation immense où milles densités se résorbent. Indéfiniment.
Alors voilà les arbres.
Voilà leurs branches qui tricotent la nuit, nouent les ténèbres autour de nous,
à travers nos mailles, et de feuille en feuille,
le long bruissement qu’est le miroitement du silence.
Ainsi va.
Avec parfois un claquement sec – quelque chose casse. Et cette sorte de poussée sourde qui semble venir des racines. Avec parfois un grincement – une autre porte.
On ne sait pas, ici. On s’y sous-vient. On n’est plus sûrs du sol.